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LA NATURE

sister sans les autres. Il faut qu’il touche à tout ; il nous sépare tyranniquement, et tâtonne dans les dissonnances. Qu’il pourrait être heureux s’il nous traitait en amies, et s’il entrait dans notre alliance, comme autrefois, au temps de l’âge d’or, si bien nommé !

En ce temps-là, il nous comprenait comme nous le comprenions. Son désir de devenir un Dieu l’a séparé de nous : il cherche ce que nous ne pouvons savoir ni soupçonner et depuis cette époque, il n’y a plus de voix ni de rythme qui accompagne notre vie. Il pressent cependant l’infinie volupté, le bonheur éternel qui est en nous, et c’est pourquoi il aime si étrangement quelques-unes d’entre-nous. Le prestige de l’or, les secrets des couleurs, les joies de l’eau ne lui sont pas étrangers ; et dans les restes de l’antiquité, il soupçonne le merveilleux de la pierre. Et cependant, il lui manque encore l’admiration passionnée pour le travail de la Nature, et l’œil qui découvrirait nos ravissants mystères. Ah ! s’il apprenait à toucher, à sentir ! Ce sens céleste, le plus naturel de tous, il le connaît bien peu. C’est par lui que l’ancien temps désiré reviendrait. L’élément de ce sens est une lumière intérieure, qui se brise en couleurs merveilleuses et puissantes. Alors, les étoiles se lèveraient en lui, il apprendrait à toucher, à sentir l’univers tout entier, plus clairement et plus diversement, tandis que l’œil ne lui montre aujourd’hui que des limites et des surfaces. Il deviendrait le maître d’un jeu infini, et oublierait tous ses efforts insensés, dans une jouissance éternelle qui se nourrirait d’elle-