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LA NATURE

face, n’exprime-t-elle pas l’état de cet être supérieur et étrange que nous appelons l’homme ? Le rocher ne devient-il pas un toi véritable dans le moment que je lui parle ? Et que suis-je autre chose que le fleuve quand je regarde mélancoliquement ses flots et que mes pensées se perdent dans son cours ? Seule, une âme tranquille et voluptueuse peut comprendre le monde des plantes ; seul, l’enfant joyeux ou le sauvage peut comprendre les animaux. Je ne sais si quelqu’un comprit jamais les pierres ou les étoiles ; mais celui qui les comprit dut être un être supérieur.

Ce n’est qu’en ces statues qui nous restent des temps passés de la beauté humaine, que transparaissent ainsi l’esprit profond et la compréhension singulière du monde minéral ; et devant elles, le contemplateur recueilli se sent entourer d’une écorce de pierre qui semble se développer vers l’intérieur. — Le sublime pétrifie, et c’est pourquoi il ne nous est pas permis de nous étonner devant le sublime de la Nature et devant ses effets, ou d’ignorer où ce sublime se trouve. La Nature ne pourrait-elle pas s’être pétrifiée à la vue de la face de Dieu, ou dans la terreur que lui causa l’arrivée des hommes ?

Ce discours plongea celui qui avait parlé le premier dans une méditation profonde. Les montagnes lointaines devenaient obscures ; et le soir, avec une intimité douce, s’étendait sur le paysage. Après un long silence on l’entendit parler ainsi : Pour comprendre la Nature, il faut qu’on la laisse se développer intérieurement en