Page:O'Followell - Le corset, 1908.djvu/281

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nace d’éclater, vous ressentez des aigreurs, des brûlures à l’estomac et à la gorge, vous vous asseyez, vous vous levez, vous vous recouchez, tournez et retournez dans votre lit comme jadis sur son gril devait faire le martyr saint Laurent rôti par des charbons ardents. Vous vous endormez enfin, peut-être après avoir, à plusieurs reprises, largement imploré un alcool de menthe ou de mélisse, votre arme de chevet qui ne sert, par surcroît, qu’à vous acheminer vers l’alcoolisme insidieux. Le génie du mal vous nargue encore en votre sommeil qu’il surcharge et assombrit de noirs cauchemars, de rêves pénibles.

Véritable bourreau, ce sommeil se prolonge bien avant dans la matinée, et au réveil vous constatez amèrement que ce sommeil de plomb ne vous a procuré aucun repos. Et vous vous levez fatiguée, affaissée, exténuée.

Cette lassitude, cet effondrement de votre personne ne feront trêve que lorsque vous aurez mis votre corset. Vous en concluez que le corset est bienfaisant pour vous. Et cependant n’en croyez rien, car le corset, ce faux ami, est cause de tout le mal. Le port habituel du corset a rompu, en effet, l’équilibre de vos organes abdominaux.

Sa constriction les anémie, les atrophie ; elle les chasse, les repousse hors de chez eux pour les cumuler plus ou moins loin en de nouveaux domiciles, nullement faits pour les recevoir, et dont ils distendent les parois, à tel point, que lorsque vous enlevez votre corset, le contenant, ou sac abdominal, élargi et relâché, devenant plus grand que le contenu viscéral raréfié, il se produit un vide dans votre ventre, un défaut de tension. Vos organes ballottent et dans la station debout, ils tombent, tirant sur leurs ligaments suspenseurs, branlants et allongés.

De même, habituées à la tutelle du corset, plaquées sur un squelette chancelant, toutes vos chairs, devenues flasques, manquent de ton, déclivent dès qu’elles ne sont plus soutenues, comme choit la terre glaise encore molle d’une maquette à laquelle l’artiste enlève trop vite les bandelettes qui l’enserrent. Alors vous gémirez corps et âme, tout ensemble. En vertu de la loi de symbiose, de synergie, de solidarité qui régit toutes les parties de votre organisme, et des rapports non moins étroits qui existent entre notre psychisme et notre organisme, tout votre être souffrira, car votre mentalité compatira avec votre physique, avec votre guenille. Et comme cette souffrance sera plus accentuée le matin, votre irritabilité, votre maussaderie, votre hypocondrie, votre psychasthénie, votre aboulie, atteindront à cette heure leur apogée.