Page:O’Neddy - Œuvres en prose, 1878.djvu/18

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Un pourpoint de velours bleu dessinait sa taille bien cambrée et un mantelet espagnol de même couleur flottait suspendu à son épaule gauche. Ce costume insolite, simple et grave, qui accusait vigoureusement la pâleur mate de ses traits fatigués, lui imprimait un type original qui n’était pas sans beaucoup d’agrément.

Il s’avance vers le colonel, lui fait un élégant salut, puis, avec toutes les marques de la plus franche courtoisie :

— Parbleu, colonel, s’écrie-t-il, votre régiment est superbe ! Daignez recevoir mon chaud compliment sur la parfaite tenue des hommes et sur l’excellent choix des montures. Je n’ai vu de ma vie une troupe aussi bien organisée, parole d’honneur !

Cette formule était des plus françaises : pourtant il y avait dans sa prononciation un accent qui tenait à la fois de l’arabe et de l’italien.

Le colonel, chatouillé dans le vif de sa gloriole, eut recours aux termes de la plus chaleureuse cordialité pour accueillir les laudatives apostrophes de l’inconnu. Il estima que le don d’apprécier si heureusement les choses méritantes ne pouvait résider que chez un homme de titre et de race ; en conséquence, il s’empressa d’admettre l’heureux appréciateur à son entière familiarité. L’autre s’y installa d’un sans-façon tellement distingué que notre héros de parade augmenta encore de prévention favorable à son égard. Bientôt la conversation devint ce qu’elle devait devenir entre deux fins cavaliers, sachant l’un et l’autre superlativement le grand monde.

On jasa de la cour, de l’Église, de l’Opéra ; on disserta sur le jeu ; on médit des femmes… — puis avec une parcimonie de transition peu sentimentale — du chapitre des femmes on passa brusquement à celui des chevaux.

— En vérité, colonel, vous êtes un amateur bien passionné ! dit l’inconnu après avoir écouté sans l’interrompre un interminable discours de son interlocuteur sur les originalités et les curiosités de la gent chevaline.

— Oui, je suis amoureux de tous les bons chevaux. Je n’en vois jamais un sans le marchander, et, toutes les fois que le prix n’est pas d’une exagération asiatique, je l’achète.

— En ce cas, vous devez avoir une écurie très-peuplée.

— Mais, oui ! elle est même à l’heure qu’il est un peu trop encombrée. Je me propose d’y faire bientôt quelques réformes.