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Page:Octave Béliard Les Petits Hommes de la pinède, 1927.djvu/11

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l’association médicale

Les ardoises du toit bousculées comme des vagues, n’étaient maintenues que par l’épais calfatage des mousses et des lichens. Et la façade n’avait pas de fenêtres ; du moins étaient-elles toutes murées sauf une, sur le côté, par laquelle la maison semblait vous regarder avec un strabisme méfiant. Seule, derrière les bâtiments principaux une construction plus récente affichait quelque orgueil : c’était une tour fort élevée, comme une tour de phare, dont le sommet s’apercevait de très loin dans ce pays de plaines à perte de vue.

Mais cette funèbre demeure avait un parc royal. Dès l’horizon, on ne distinguait le logis que comme une minuscule tache grise dans la verdure. À mesure qu’on approchait, la forêt déployait ses bras, gagnait en profondeur, remplissait toute la contrée de son moutonnement de grands pins. Il y en avait d’incalculables étendues, depuis le château qui la jalonnait à l’est, jusqu’à la mer qu’on ne voyait pas, mais qu’on devinait d’infiniment loin par la brise fraîche qui soufflait d’Occident. Quand on arrivait au château, le regard était arrêté par la ligne droite d’un haut mur féodal qui enserrait les débordements de cette pinède et se continuait au nord et au sud, jusqu’aux confins du ciel. Ce mur géant, œuvre d’un fou millionnaire des siècles passés, se dressait évidemment sur des lieues, clôturant tout un pays.

À la grille, je sautai à bas de la voiture et tirai sur un anneau de fer. Aucun bruit ne s’ensuivit ; le fil de la cloche avait été, comme la grille elle-même, miné par la rouille… Ou peut-être n’y avait-il plus de cloche au bout du fil. Notre arrivée interrompit un concert de grenouilles dans les douves voilées de vert par les lentilles aquatiques et fit s’envoler du toit quelques pigeons. Des cricris animaient de leur crépitement de paille grillée l’herbe poussée entre les pavés de la cour. Autour, la pinède murmurait comme une mer, avec, de temps en temps, un bruit sourd de pomme de pin qui tombe, un bruit sec de branche qui se casse.

— Faut-il descendre les malles ? me dit le charretier étonné. Il n’y a sûrement personne.

Sans répondre, craignant vaguement moi-même d’avoir été la dupe d’un mystification, je poussai la grille qui céda. J’avançai dans la cour et jusqu’au perron dont j’escaladai avec peine les marches branlantes. Je frappai à la porte.

Des pas pesants de vieillard sonnèrent sur les dalles du vestibule. On n’ouvrit pas cependant.

— Qui est là ? dit une voix soupçonneuse.

Je me nommai. On parut hésiter. Toutefois, après un silence, la porte s’entrebâilla. Une sorte de demi-paysan à barbe grise m’inspectait de la tête aux pieds.

— Si c’est bien vous, me dit-il enfin, vous êtes attendu. Mais l’homme qui vous accompagne ne doit pas entrer. Veuillez faire déposer votre bagage ici, tout contre la porte, et congédiez votre voiturier.

— Mais… le docteur Dofre ?

— Je dois tout à l’heure vous conduire à lui.

En effet, quand j’eus obéi aux ordres de cet étrange serviteur, quand la carriole eut pris le chemin du retour vers le monde vivant, avec plus d’entrain, semblait-il, qu’elle n’en avait montré à l’aller ; quand elle ne fut plus qu’une tache noirâtre sur les bruyères, quand la sonnerie de son grelot ne fut plus qu’un bruissement, l’homme me fit un signe.

— Venez, dit-il.

L’intérieur du château répondait à l’extérieur : des couloirs lépreux que d’anciennes tapisseries — des verdures de Flandre — vêtaient de loques précieuses et misérables.

Mon introducteur souleva une portière en meilleur état et me fit passer devant lui.

Alors, dans un cabinet-bibliothèque merveilleusement meublé de livres et d’instruments de physique, je vis le docteur Dofre.

Il était debout derrière un bureau somptueux de Boulle incrusté de cuivres, et s’adossait à l’un des