Aller au contenu

Page:Octave Béliard Les Petits Hommes de la pinède, 1927.djvu/16

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
244
l’association médicale

des impossibilités, j’admets que la morale n’ait plus rien à y voir.

— Rien n’est impossible. Cette race existe.

— Bah ! créée par vous ? Vous vous moquez. On transforme l’individu, on ne crée pas une race.

— Nul raisonnement ne tient devant le fait. Je compte bien vous en faire juge. Mais venez. Le clair de lune incite à la causerie. Je vous dirai ce que j’ai fait

— Je vous en prie !

Au lieu de me conduire dans son cabinet, le Docteur poussa une porte opposée et nous nous trouvâmes dans un potager bourgeois où la lune coulait des rayons frais comme des ruisseaux. Des allées droites, bordées de poiriers, découpaient ce jardin banal en rectangles égaux où s’alignaient des légumes bien sages, toute la flore familière du pot-au-feu. Les murs de l’enclos montraient des espaliers semblables à des mains ouvertes aux longs doigts étalés. Il y avait même, dans un angle, une tonnelle rustique en lattes treillissées ; et dans un autre angle, on entendait parfois sortir d’un obscur appentis quelque gloussement songeur de poule endormie, quelque galop apeuré de lapin de choux.

M. Dofre avait mis une casquette, et je m’aperçus bien que le vêtement vague qui lui conférait au premier abord tant de dignité n’était qu’une robe de chambre. Dans la pénombre, les yeux divins s’étaient éteints avec le rayonnement de cet homme. Peut-être aussi le décor nuisait-il à son prestige… Je respirai, soudain libéré d’une contrainte. J’étais tout simplement à la campagne, chez un ami vieux et bonhomme, que je voyais casser machinalement une branche de thym pour la porter à ses narines d’un geste de propriétaire rural content du repos du soir, de l’odeur de la terre, de la fraîcheur nocturne.

— Sans y penser, familièrement, je tirai ma pipe.

— Ah ! vous fumez ?

Ce fut dit avec le ton d’un reproche mal déguisé qui me rappela au respect.

— Je vous demande pardon, dis-je. Une habitude d’étudiant.

— Dangereuse habitude, ici. Ces bois résineux sont sujets à des incendies que la moindre étincelle peut allumer.

Et de son doigt le vieillard me montrait, penchées par dessus le mur du jardin, les dernières branches de cette immense Pinède qui, après s’être étalée comme une mer sur toute la campagne, venait mourir là, tout près de nous. Cette crainte du feu était puérile, à mon opinion, mais je n’insistai pas.

Nous parcourions les allées en silence. À un moment, le docteur Dofre s’arrêta, attendant une interrogation que je lui fis aussitôt.

— Vous disiez… ces Nains… ?

La paisible promenade m’avait fait oublier un moment l’angoissant mystère entrevu. Le cours de mes idées m’y ramenait, plus curieux.

Le Docteur prit un ton dogmatique.

— Bien des années, dit-il, avant vos expériences et avant votre naissance même, les recherches qui sollicitèrent vos efforts m’avaient passionné et je les poussai beaucoup plus loin que vous. Je regrette de vous infliger cette déception, mais il faut bien que vous sachiez que la production expérimentale de variétés naines ne date pas de vous. D’ailleurs, comme je vous le faisais remarquer, vos succès sont très incomplets, puisque vos nains n’étaient pas viables. Je ne vois là qu’un essai timide dont les résultats sont simplement encourageants. Votre étude fut tâtonnante, empirique. Vous avez fait varier artificiellement les conditions de la vie fœtale en des sens différents et il n’est pas très miraculeux qu’entre autres anomalies celle qui vous intéressait particulièrement ait apparu. Vous en avez tiré des conclusions logiques et hypothétiques.

« Pour moi, placé devant le même problème, j’en conçus tout autrement la solution. Mon point de départ est d’ordre embryologique. En étudiant la segmentation de la cellule-œuf chez les vertébrés, je remarquai que, lorsque cette cellule s’est divisée en deux, si l’on sépare les deux cellules-filles et que l’on en sacrifie une, l’autre continue l’évolution comme si elle était seule et parvient à l’organisation d’un embryon complet, mais deux fois plus petit que l’embryon normal. Et si, non content d’avoir ainsi détruit l’un des premiers blastomères provenant de la division de la cellule-œuf, on sépare encore les deux cellules petites-filles nées de l’unique blastomère conservé, en sorte qu’une seule reste vivante, représentant le quart de la substance de l’œuf primitif, la formation de l’embryon s’effectue encore normalement avec cette particularité que l’ébauche du nouvel être est quatre fois plus petite, que plus tard le nouvel être lui-même sera quatre fois plus petit que ceux de son espèce.

— C’est tout à fait intéressant, répliquai-je. Mais pour opérer sur des œufs au premier stade de leur développement, il est indispensable qu’on s’adresse exclusivement aux Vertébrés ovipares : les Poissons, les Batraciens, les Reptiles ou les Oiseaux… Ne m’avez-vous pas laissé voir que vos expériences avaient porté sur l’espèce humaine ? Voilà ce qui me semble tout à fait impossible.

— Disons que la difficulté technique était considérable. Croyez que j’y ai pensé plus d’un jour. L’essentiel, c’est que j’aie réussi. J’ai pu obtenir le développement d’embryons humains de dimensions réduites qui sont devenus des enfants parfaitement constitués, puis