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Page:Octave Béliard Les Petits Hommes de la pinède, 1927.djvu/41

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l’association médicale

tés infinies qui, tourmentée dans les combinaisons d’une chimie dont elle parcourt tout le cycle nécessaire, rencontra par accident le mouvement évolutif qui fait l’animal ?… La dispute date de loin ; elle alimentera peut être éternellement les conversations des hommes…

« Pourtant… voici que la Pinède apporte une expérience toute nouvelle. Si nous descendions de la tour, si nous nous couchions au ras du sol, la querelle des Petits Hommes, contemplée de près, à leur niveau, nous apparaîtrait comme un assemblage complexe, difficile à définir, d’actions et de réactions individuelles, donc vitales, instinctives ou intelligentes. Nous verrions chaque combattant persuadé à juste titre que l’issue du combat dépend à quelque degré de son jugement et de sa force d’âme… Mais nous sommes sur la tour. Tout est changé. Les gauchissements que la sensibilité et la volonté, que la Vie, pour tout dire, fait apparemment subir aux principes immuables de la nature restent devant nos yeux un problème simple dont un mathématicien aurait écrit les données au tableau, et dont la solution nécessaire est au bout de notre raisonnement.

— C’est cela. Phénomène vital, phénomène physique… le même fait deviendra l’un ou l’autre suivant que vous l’observerez à telle ou telle distance. Et les tenants du vitalisme n’y perdent pas un pouce de terrain. Peut-être nos sens, plus aigus, nous découvriraient-ils que la Vie est partout, jusque dans l’éprouvette du chimiste ! Il y a une infinité de choses que nous observons de trop haut et de trop loin, du sommet d’une tour. La molécule de chlore et la molécule de sodium, ces deux infiniments petits, que nous ne vîmes jamais et que la raison ne fait que concevoir sur le chemin au bout duquel les corps s’évanouissent… qui sait si ce ne sont pas deux infimes êtres vivants mus l’un et l’autre par l’amour ? Et c’est seulement lorsque des quintillons de couples semblables se sont formés que ce rut énorme parvient à notre perception sous la figure… d’un grain de sel !

Dofre, ce disant, daigna sourire vaguement à sa fragile hypothèse. Curieux savant qui chevauchait volontiers, ainsi qu’un poète, les chimères ! mais la poésie n’est-elle pas, après tout, l’au-delà de la science ?

— Et, répondis-je en suivant son idée, rien n’empêche que votre molécule de chlore et celle de sodium aient conscience, en s’unissant, de commettre un acte libre, alors que votre chimiste, qu’elles ne connaîtront jamais, les sollicite en réalité à s’unir en créant artificiellement le déterminisme du phénomène ; alors qu’il rend nécessaire, par un simple geste, cette multitude d’actes libres par quoi le grain de sel serait formé.

— Oui, et Dieu serait le grand Chimiste. Aux cîmes de son empyrée, tous nos actes vitaux, l’immense grouillement de tous les mondes vivants, tant d’instincts qui se contrarient, tant de minuscules vouloirs qui plus ou moins se neutralisent, apparaîtraient au total comme la solution unique, extrêmement simple et parfaitement nécesaire du simple et nécessaire problème posé par son geste créateur. Liberté et Nécessité ne seraient ainsi que le bas et le haut d’une même chose.

« Nous avons bien quelque idée de cela, rien qu’en notre existence sociale. Un individu, est, à quelque degré, libre et responsable ; une foule bien que com-