LES PETITS HOMMES DE LA PINÈDE
Du temps coula lentement goutte à goutte comme d’un vase fêlé. Plusieurs fois le jour, il m’était permis de monter jusqu’à la lanterne du phare ; la topographie de la Pinède me devint familière et je m’habituais à interpréter les mouvements collectifs de ses habitants, aperçus de loin comme les oscillations périodiques d’un monde d’infusoires dans le champ du microscope. J’en notai les aspects à chaque heure, à chaque variation atmosphérique, et ces observations biologiques d’un genre nouveau me passionnèrent ainsi que l’avaient fait en d’autres temps mes patientes études de laboratoire.
Il m’entra dans la pensée que, jusque-là, la connaissance de la Vie — l’Histoire humaine en haut, la Bactériologie en bas — avait subi un retard de développement, se réduisait aux tronçons épais d’une Science inconnue et inattingible, par la double impossibilité de percevoir et les actes individuels des bactéries, et les secousses supportées par le genre humain pris dans sa masse. Le principe des égarements de l’Histoire est dans l’analyse trop minutieuse de faits placés trop près de l’œil et dont la complexité nuit à l’impression de l’ensemble et à l’entendement des grandes lois. L’échec des observations de la vie élémentaire vient tout au contraire de ce que les détails en sont soustraits totalement à l’analyse par leur petitesse et leur éloignement. La Biologie, me disais-je, ne formera un corps de doctrine que lorsque chacune de ces études opposées se sera complétée par les moyens d’investigation et les méthodes de l’autre. Et n’étais-je pas tout justement destiné à opérer la soudure, par la vision de cette humanité réduite, limitée dans l’espace et dans le temps, observée d’un point où les individualités fondues dans la masse réalisaient l’aspect d’une culture hu-
- ↑ Voir l’Association Médicale, nos 6, 7, 8, 9, 10 et 11.