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Page:Octave Béliard Les merveilles de l'ile mystérieuse, 1911.djvu/12

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Lectures pour Tous

bouilloires. L’air devenait peu à peu humide et brûlant. L’île tout entière fut envahie par un brouillard épais qui cacha la lumière du soleil. Les rues étaient agitées, pleines de monde ; on poussait des clameurs. Bientôt le sol lui-même gronda et se secoua comme si un dragon formidable, longtemps endormi, se réveillait dans ses profondeurs.

Avec des tumultes d’invasion, on vit courir par toutes les voies les forgerons, noirs de cendre, qui criaient quelque chose d’incompréhensible. Je descendis me mêler à la foule. « L’éruption ! l’éruption ! » ce mot volait de toutes les bouches avec des cris de terreur.

Des nouvelles stupéfiantes, des récits incoordonnés se croisaient dans les groupes. On disait que soudainement la force du feu central s’était accrue. Des flots de lave ardente avaient noyé les forges et dispersé les travailleurs. Il y avait au bas de la montagne des cadavres carbonisés. Cette fumée, c’était toute l’eau de la grande chaudière, du grand lac bouillant, qui se vaporisait à la fois.

Tout à coup, une effroyable détonation retentit, et le brouillard s’emplit d’une lueur rouge. En place de la vapeur humide, une pluie de cendres commençait à tomber ; des nuées de pierres s’abattirent sur les maisons, churent dans la mer avec le frémissement des tisons qui s’éteignent. Le volcan avait repris possession de sa cheminée centrale et vomissait des flammes. Il faisait à la fois noir et rouge comme dans une nuit d’incendie.

Un terrible hurlement, une poussée, une fuite éperdue… Le fleuve de lave balayait la ville d’une langue ensanglantée, ensevelissant les hommes. La terre était constamment agitée de hoquets. Il s’y ouvrait, çà et là, des crevasses par où les vents emprisonnés s’échappaient avec un sifflement angoissant. Ailleurs, les gaz ayant formé, dans le sous-sol, des mélanges détonants, on entendait des craquements sourds, des bruits d’explosions. L’antre des vents, ouvert par mille fissures, répandait les tempêtes ; la mer bondissait, écumait, se tordait sous l’aiguillon du cyclone…

Le petit groupe désespéré dont j’étais reculait devant le feu jusqu’au rivage infranchissable.

Alors, des lointains monta une vague épouvantable, la plus énorme que j’eusse jamais vue. C’était comme un mur mouvant qui atteignait les nuées. Où fuir ? Mes jambes fléchissaient. Autour de moi, je voyais courir des ombres inconsistantes dans de la fumée ; j’entendais des plaintes, des cris sinistres… Où étais-je ? Où était le capitaine ? Je ne reconnaissais personne et je crois bien que je criais, mais je n’entendais pas ma voix.

L’île semblait descendre au fond de l’Océan. On était dans l’eau jusqu’aux chevilles… déjà, dans la mer ! La grande vague arrivait toujours, courant comme un cheval au galop… Le relief de la terre s’affaissait dans l’attente de sa venue, comme si toute l’île, craignant le choc, courbait d’avance l’échine, s’aplatissait d’épouvante.

Et brusquement la crête écumeuse fléchit. Il se creusa un ourlet géant… Le grand mur d’eau croula… Je fermai les yeux… Tout le murmure de la mer entra dans mes oreilles…

. . . . . . . . . . . . . . .

La mort ne voulut pas de moi, cette fois encore. Le hasard permit que je fusse accroché par un débris flottant. Un de ces grands steamers qui font le service entre Plymouth et Hong-Kong, lui-même battu par la tempête, me recueillit, à demi mort, épave secouée au gré de la mer qui venait d’engloutir pour jamais jusqu’au souvenir de l’île magique et de ses habitants !

Compositions de H. Lanos.
Octave BÉLIARD.