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Les redoutables Bédouins, qui furent les premiers soldats du Prophète, se répandent dans l’Arabie, leurs manteaux blancs flottant au vent, saccageant et incendiant les établissements européens.

ORIENT CONTRE OCCIDENT



E n ces toutes dernières années, à deux reprises, à propos des événements marocains comme aussi à propos de la Tripolitaine, la presse a posé l’angoissante question : les Musulmans déclareront-ils la guerre sainte ?

Les marabouts hallucinés et les derviches ambitieux qui prêchent la guerre sainte à tout bout de champ, au Soudan ou en Algérie, n’ont pas peu contribué à l’idée fausse qu’on s’en fait en Europe. Chaque fois qu’on a eu le bonheur de réprimer un soulèvement local, sans portée, les gens mal informés crurent volontiers que le monde entier, et principalement les nations envahissantes de l’Europe, venaient d’échapper à un grand danger. Comme si l’excitation fanatique de quelques hommes sans autorité religieuse était capable de grouper sous le même étendard les deux cent cinquante millions de mahométans, blancs, jaunes ou noirs, disséminés sur la surface du globe et séparés par des rivalités de races et de sectes, pour une guerre de passion, une croisade antichrétienne et anticivilisatrice !

Aux termes du Coran, toute guerre défensive est une guerre sainte ; il n’en est pas d’autre. Mais pour que l’obligation de s’armer s’impose à tous les Musulmans de la terre, sans distinction de nationalités, pour que la guerre sainte devienne universelle, il faudrait que l’ordre émanât de la seule personne qui ait le droit de parler au nom de la religion musulmane : le sultan de Constantinople en tant que Calife de tous les croyants.

Le soulèvement total du monde musulman ne s’est produit qu’une seule fois dans l’histoire, au temps de Mahomet, en l’an 9 de l’Hégire. Il faut dire qu’alors toutes les forces réunies de l’Islam n’atteignaient que le chiffre de 30 000 guerriers, et qu’il serait maintenant moins facile, malgré les progrès des communications, d’en rassembler 250 millions.

La guerre sainte universelle n’est pourtant pas impossible, mais il faudrait, pour la déchaîner, une spoliation territoriale dont l’Islam entier se sentît atteint. Quand Mahomet prêcha la première guerre sainte, c’est qu’Héraclius, empereur d’Orient, menaçait la Mecque, patrimoine sacré de tous les croyants. La même cause seule pourrait produire les mêmes effets, et c’est dans cette hypothèse de l’occupation de la Mecque par une puissance européenne que nous allons imaginer ce que serait, de nos jours, la guerre sainte musulmane.

Nous sommes, si le lecteur le permet, au 24 juin 1950. Les grands pèlerinages de la Mecque battent leur plein et ils n’ont jamais été aussi suivis que cette année, à cause des nouveaux moyens de communications mis à la disposition des Hadjis. Dans la sainte vallée dont le noir catafalque de la Caaba est le centre, des milliers de tentes sont dressées : ce sont celles de la caravane de Damas, formée de Turcs, de Persans, de Circassiens, de Kurdes, venus par le chemin de fer du Hedjaz. On attend l’arrivée des Hindous qui passent par Bassra : les plus riches, marchands de Delhi ou de Bombay, montés sur des chameaux à pompons rouges frottés de poix contre les mouches, ou sur des éléphants portant tourelles incrustées de nacre et tapis brodés.

Les quatre-vingt-sept kilomètres qui séparent la Mecque de la mer Rouge sont incessamment parcourus par des ânes et des chameaux, par de forts partis de piétons qui ont pris l’uniforme blanc prescrit par le rite, et marchent, la nuit et le jour, sous le soleil tapant dur ou la lune froide, les jambes traînardes, en marmottant des invocations sur les grains jaunes des chapelets, en mangeant je ne sais quoi porté sur le dos avec les hardes. Des paquebots dégorgent toujours de nouveaux pèlerins sur les quais de Djeddah. La mer est couverte de ceux qui s’en viennent. Sur le pont encombré et sali des navires, des multitudes bariolées grouillent autour de marabouts prêcheurs et de derviches épileptiques