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Page:Octave Beliard Une expédition polaire aux ruines de Paris 1911.djvu/2

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Lectures pour Tous

œuvre fut immense ; elle s’est perdue ; il n’en est resté, comme vous le savez, que deux livres, et encore d’une authenticité incertaine, Notre-Dame de Paris, la Légende des Siècles, et des fragments informes. Par ailleurs, sur Paris nous avons des bribes de documents, venus de sources diverses, difficiles à relier entre eux, une phrase dans un discours, une page de roman, de l’histoire, des légendes, des plans vagues, des descriptions plus ou moins véridiques… Que voulez-vous tirer de tout cela ?

— Sans doute, reprit Fandriana, la difficulté est grande. Pourtant, de récents travaux, ce tracé que j’ai là sous les yeux, nous donnent quelque idée, inexacte mais suffisante, de ce qu’a pu être Paris. L’Université de Tamatave a dressé la liste descriptive et détaillée des principaux monuments de la Ville, d’après les vieux auteurs. Si nous avons la chance de passer sur Paris, je crois bien pouvoir le reconnaître.

— Oui, mais aurons-nous cette chance ? Nous marchons à l’aveuglette, suivant des linéaments géographiques trompeurs qui ont changé cent fois de figure, depuis que l’antique Europe a disparu sous les glaciers. Le déplacement continu des pôles de la terre a brouillé toutes les notions de latitude… et vous ignorez sous quel parallèle se cache Paris, par rapport au méridien de Tananarive… Nous cherchons une aiguille dans une charretée de neige.

— Qu’importe ! Je retrouverai Paris, dussé-je promener mon voyage aérien au-dessus de toutes les solitudes du globe ! ».


L’EUROPE DEVENUE UN DÉSERT DE GLACE.

L’aéronef planait dans la nuit polaire.

On était, le lecteur l’a compris, au dernier âge du monde. La terre était envahie par le froid. Le soleil vieilli, foyer à demi consumé, ainsi que les calculs des savants l’avaient prédit, était devenu peu à peu, insensiblement, insuffisant à chauffer de son rayonnement toute la surface du globe. La double calotte blanche qui couvre les pôles de la terre était descendue lentement, avec les siècles, vers les contrées tempérées, et maintenant sa frange atteignait presque les tropiques. Comme aux périodes glaciaires des origines, la flore et la faune du froid couvraient l’Europe. Il y demeurait, par îlots disséminés, des débris d’humanité, des tribus abâtardies, couvertes de fourrures, que la lutte incessante contre les éléments, une vie de fatigues et de privations avaient fait rétrograder jusqu’à l’animalité. Ces hommes rares et pauvres, à l’intelligence obtuse, vivaient en dehors du monde dans cette Europe dont l’histoire était effacée, les monuments enfouis, cependant que le règne humain se poursuivait ailleurs, au milieu de la riche nature tropicale.

Tananarive était, par suite de l’émigration des belles races, ce qu’avait été autrefois Paris, la capitale de la terre, le grand foyer de l’intelligence et du progrès, le siège des grandes universités, la source des inventions et des découvertes. Dans des temps très lointains, la belle et féconde race blanche s’était établie dans l’île de Madagascar, dans le centre africain, dans l’Asie du sud et dans l’Amérique centrale. C’était là que l’histoire glorieuse de l’Homme se continuait, tandis que la neige et l’oubli recouvraient les demeures désertées d’Europe.

Que reste-t-il d’une civilisation éteinte depuis des milliers d’années ? Des œuvres d’art mutilées, des poèmes, des légendes. On avait même oublié, devant les découvertes nouvelles, les grandes inventions de jadis. On tenait pour incertain que les antiques Européens eussent connu l’électricité, les aéroplanes, tout ce qu’il avait fallu réinventer depuis. L’existence de Victor Hugo était mise en doute, comme celle d’Homère. On partait à la découverte de Paris comme jadis Schliemann était parti à la découverte de Troie, perdue dans les sables de l’Asie Mineure. Et c’était le dessein qui poussait vers les solitudes polaires Fandriana, Tulléar, Atanibé, trois savants de Tananarive.

Les voyageurs virent défiler des horizons toujours semblables, à la lueur crépusculaire des glaces, naviguant sans relâche, croisant au-dessus des mers sans murmures et des continents morts. Le chaos de la banquise leur révélait l’Océan ; la terre offrait plus loin des étendues tout aussi blanches, mais plus planes, aux courbes adoucies. Ils inclinaient alors vers le sol l’avant de leur vaisseau de l’air, et partaient à pied pour des inspections toujours infructueuses. Le manteau de l’éternel hiver recouvrait tout. Parfois ils visitaient des tertres élevés, des collines mystérieuses. Peut-être là-dessous se cachaient des villes antiques… Leurs pioches mettaient à nu des éboulis de pierres informes et sans nom qui ne livraient point leur secret.

« Voyage impossible ! répétait Tulléar. Il faudrait un hasard inouï pour nous faire rencontrer Paris. C’est sans doute un monceau de gravats sous vingt pieds de neige, au-dessus duquel nous sommes passés cent fois. »

Fandriana consultait les documents antiques, les fragments des poèmes qui parlaient de la Seine et de ses méandres, des arcs de triomphe, des colonnes, des palais. Atanibé photographiait les sites au magnésium.