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Des années que je te dis… des années et des années…

Les volets du débit fermés, les clients partis, et seuls en face l’un de l’autre, ils devenaient soucieux, ne parlaient presque plus, poursuivis par des pensées communes qu’ils n’osaient pourtant pas se communiquer. Et, tout à coup, rompant un silence qui le gênait, Jaulin s’écriait :

— On ne m’ôtera tout de même pas de l’idée que quelqu’un lui donne à manger…

Mais madame Jaulin ne répondait pas, se contentant de hausser ses épaules maigres et pointues.

Un matin que Jaulin par hasard ferrait un cheval, il leva les yeux en l’air et il vit sa mère qui, ayant ouvert la porte du grenier, se penchait pour regarder dans la rue.

Et il eut une idée…

— Tiens !… Tiens !… se dit-il. L’après-midi, il obligea la vieille à faire une promenade dans le pays. Presque tendrement :

— Il y a longtemps que tu n’es sortie, maman… observa-t-il… Il fait beau… Cela te fera du bien… Si tu veux, Estelle ira avec toi… ou bien Clémentine, hein ?

— Je n’ai besoin de personne, ronchonna la bonne femme… Je sortirai bien toute seule…