Page:Octave Mirbeau - Dingo - Fasquelle 1913.djvu/237

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delà de Ponteilles. Legrel désirait voir Dingo, dont je lui avais parlé avec enthousiasme. Il avait donc été convenu que je le lui amènerais.

Vous connaissez certainement de nom Édouard Legrel et, de réputation au moins, ses beaux et hardis travaux sur la myologie de l’araignée, travaux dont je ne sais pas exactement en quoi ils sont si beaux et si hardis et qui l’ont rendu célèbre dans le monde entier. Mais ce que vous ne connaissez pas, c’est l’être exquis qu’est ce grand naturaliste. Avec sa grosse tête ébouriffée de cheveux roux, sa petite moustache rude qui ne dépasse pas le coin de ses lèvres charnues, ses yeux étonnés d’un bleu profond et mouillé qui répandent sur tout le visage leur douceur infinie, il est impossible d’exprimer plus de bonté et de la bonté plus qu’humaine, de la bonté animale. J’aime aussi la gaucherie ingénue de son corps, la candeur de ses gestes et ses longues jambes maigres qui lui font une marche et une démarche toujours un peu comiques, de même que ses longs bras qui fauchent l’air et que terminent des mains effilées, déliées, très souples, « des mains d’opérateur », disait sa femme avec orgueil.

Depuis plus de vingt ans que je fréquente Legrel, je ne l’ai jamais vu, à Paris comme à la campagne, qu’avec d’immenses chapeaux de feutre gris, cabossés, à très larges bords et des