Page:Octave Mirbeau - Dingo - Fasquelle 1913.djvu/287

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femmes, des gamins, des chiens rassemblés. Dès qu’elle m’eut aperçu, elle resta d’abord interdite de ma présence et comme suffoquée de mon audace, puis elle se précipita sur moi, en agitant une écumoire de cuivre rouge, encore toute poisseuse de sirop de groseille. Elle était habillée à son ordinaire d’une vieille robe de soie noire, avec un tablier de cotonnade bleue, tout taché du jus des groseilles et dont un des coins se relevait sur ses hanches formidables. Comment ne pas rire à la vue de cette monstrueuse poitrine, de ce triple menton, de ces joues empourprées de colère et de couperose et de ce crâne dénudé d’où s’élançaient deux petites mèches grisâtres, en vrille ?

— Ah ! c’est vous ! glapit-elle.

Elle s’enhardit jusqu’à me tutoyer :

— Ah ! c’est toi !… toi !… ah ! te voilà ! Tu tombes bien, chameau, assassin… cochon !

S’excitant à ses propres injures, elle voulait me frapper… le voulait-elle vraiment ?… de son écumoire. Je reculai vivement, non par peur de l’écumoire. Mais je crus… ma parole d’honneur, je crus que, dans l’effort de son bras levé, le corsage de la dame allait soudainement éclater et que je serais roulé, emporté, englouti, dans le torrent de ses seins débordés. Elle hurlait :

— Mes cobayes !… Je veux mes cobayes…