Page:Octave Mirbeau - Dingo - Fasquelle 1913.djvu/293

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dre pensée, le moindre désir sur sa physionomie, ce perpétuel sourire qu’il avait le rendait avenant, sympathique. Mais un homme habitué à l’observation humaine n’eût pas été long à découvrir, derrière ce sourire volontairement inexpressif, tout un fonds de ruses médiocres et même de fortes préoccupations ambitieuses. Il connaissait admirablement, jusque dans le tréfonds de leurs âmes ténébreuses, les paysans. Et son succès auprès d’eux, il le devait à ce qu’il était bien résolu à ne jamais les froisser, à entrer dans toutes leurs manies croupissantes, dans toutes leurs passions haineuses et cupides qu’il flattait, qu’il exaltait, d’autant plus qu’il simulait quelquefois de les combattre.

En politique, il était radical et, si on le poussait un peu, radical-socialiste, ma foi ! Pourquoi pas ? D’ailleurs il admirait fervemment Méline et son œuvre économique. Il allait à la messe, communiait à Pâques pour plaire à sa femme et pour plaire à tout le monde, surtout à ceux qui l’attaquaient ; il défendait l’idée de la propriété individuelle, avec une férocité meurtrière, si toutefois M. Lagniaud eût été capable de commettre un meurtre autrement qu’en pensée et en souriant.

L’existence de M. Lagniaud était simple. Elle n’avait pas d’histoire, pas d’autre histoire que des