Page:Octave Mirbeau - Dingo - Fasquelle 1913.djvu/303

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pour sûr… Bon Dieu de bon Dieu !… Si c’est pas malheureux !… Une si belle vache… qui donnait vingt litres par jour… Et je n’avais qu’elle pour vivre…

Celle-ci, si tassée, si ratatinée que le nez, les yeux, le menton, tout le visage avaient presque entièrement disparu, n’était plus rien… rien que des plis rugueux, accidents difformes, végétations cornées, bosses de la peau couleur de terre.

— Le lait s’est aigri dans le pis de ma vache. Du vinaigre. C’est plus que du vinaigre, son lait… Qu’est-ce que vous voulez que j’en fasse, à c’t’heure ? Elle n’est plus bonne que pour l’équarrisseur…

Je revois encore une grande blondine, le nez crochu qui coulait comme une fontaine et dont les lèvres étaient pour ainsi dire avalées par une bouche sans gencives et sans dents. Elle criait :

— Mon viau est mort… un viau si ben grainé qui m’avait coûté tant d’argent, et tous les œufs de mes poules… L’vétérinaire m’a bien dit que c’est vot’chien… vot’sacré chien de malheur… qui lui a tourné les sangs… Si c’est Dieu possible !… J’l’avais vendu quatre-vingts francs au boucher d’Ambleville… Il devait venir l’prendre, à c’matin… Et voilà, il est mort !… Et mon p’tit gars qu’est à l’armée… Je lui avais promis cent sous, à mon p’tit gars… Qu’est-ce qu’il va