Page:Octave Mirbeau - Dingo - Fasquelle 1913.djvu/332

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Un dimanche matin, Jaulin demanda à me voir. Il me faisait bonne figure quand je le rencontrais, mais je n’ignorais pas qu’il disait à toute occasion beaucoup de mal de moi, qu’il attisait les rancunes, la haine des autres contre moi. Il ne me pardonnait pas que j’eusse fait venir mon essence du dehors, au lieu de l’acheter chez lui.

Je le reçus amicalement. Son air d’exceptionnelle gravité me frappa. Il avait le nez froncé, les lèvres étrangement serrées et ses beaux habits des jours de fête. Les bras ballants, la tête haute, il affectait une sorte de majesté revendicatrice, que je ne lui connaissais pas encore et qui ne lui allait pas très bien. Comme il demeurait tout près de chez moi, il était venu sans chapeau. Je compris que cet homme allait prononcer tout à l’heure des paroles définitives.

— Qu’est-ce qu’il y a, Jaulin ?

Je lui tendis la main. Il hésita à la prendre… la prit tout de même, de mauvaise grâce.

Si son port était ferme et assuré, sa voix ne l’était guère. Elle tremblait un peu. Jaulin, qui était né cafetier, n’était pas devenu orateur. Mis en demeure de parler, il paraissait ému, surtout embarrassé. Je crois que son chapeau lui eût été à ce moment d’un grand secours.

Après avoir bégayé longtemps, il répondit :