Page:Octave Mirbeau - Dingo - Fasquelle 1913.djvu/394

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vieux torchons qu’il secoue, qu’il déchire dans sa gueule en grondant, et qu’il emporte comme une proie au fond des fourrés.

Moi-même, une après-midi, je l’aperçus, au haut d’un rocher. Il était tout rouge dans le soleil, et il hurlait à pleine gorge, il hurlait des appels rauques, des appels joyeux, des appels sans fin aux dingos inconnus et fraternels de l’Australie.

Dans ses courses vertigineuses, il ne nous oubliait pas. Cinq jours, six jours d’absence, et il revenait tout à coup, rapportant dans ses poils des odeurs puissantes de terreau, de fleurs sauvages et de feuilles mortes. C’étaient alors des gambades, des gentillesses, des caresses éperdues, un délire de joie. Il semblait qu’il ne voulût plus jamais nous quitter. Après s’être attendri, reposé, gavé de bonne nourriture, il repartait.

Je connaissais dans le village un braconnier. On l’appelait Victor Flamant. Il habitait, à deux cents mètres du bourg, une cabane faite de planches pourries, disjointes, à peine couverte, et il vivait là, dans la plus horrible misère, avec ses cinq enfants. Je lui avais acheté quelquefois du gibier et l’avais employé à des travaux de labour dans le jardin. Ce Flamant m’intéressait passionnément.