Page:Octave Mirbeau - Dingo - Fasquelle 1913.djvu/398

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Par une calme soirée, j’étais descendu jusqu’à la Seine. J’entendis des sons bizarres que le vent, par bribes, m’apportait. Ils venaient de la cabane de Flamant. Je m’approchai. Immobile, dans l’obscurité, j’écoutai. Quelqu’un jouait de l’accordéon. Mais qui ? Était-ce bien d’un accordéon que venait cette musique ? L’accordéon est un instrument pour polkas dans les bals, un orgue de barbarie timide ; sa sonorité est mal posée, comme la voix d’un adolescent qui mue. Mais les sons que j’entendais étaient pleins comme les sons d’un orgue. S’ils devenaient plus rapides, leur sautillement était allègre et libre. C’était une musique humaine et profonde comme celle de Moussorsghi. On eût dit qu’elle enlevait au paysage son caractère familier et qu’elle l’éloignait dans l’espace. Étais-je bien sur la lisière de Fontainebleau ? N’étais-je pas plutôt un voyageur en exploration ayant marché des jours et des nuits dans un désert et qui, brusquement, retrouvait tous les soucis, toutes les angoisses mystérieuses et les humbles joies des autres hommes ?

J’entrai dans la cabane. Flamant était assis sur un escabeau, les yeux calmes et levés au plafond, le buste remué d’un mouvement de balancier.

— Qu’est-ce que vous jouez là ?… lui demandai-je.