Page:Octave Mirbeau - Dingo - Fasquelle 1913.djvu/58

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ment bavards et ils n’en finissent jamais de nous conter des histoires.

Je m’en rends compte aujourd’hui, j’avais tort. Et tout cela était de ma faute.

J’avais tort de vouloir inculquer à Dingo des notions humaines, des habitudes de vie humaine, comme s’il n’y eût que des hommes dans l’univers et qu’une même sensibilité animât indifféremment les plantes, les insectes, les oiseaux, tous les animaux et nous-mêmes. Heureusement, Dingo, étant plus intelligent que moi, résistait. Il savait très bien ce qui convenait à la nourriture de son corps et de son esprit, ce que nous avons de commun avec les bêtes, et ce qui nous en sépare éternellement. Il savait aussi que, s’il m’eût obéi, il n’eût été ni un chien, ni un homme, rien qu’une espèce d’être vague, désarmé, désorbité, un fantoche absurde, aussi fantoche que Dieu, lequel n’a ni queue ni tête, puisqu’il est théologiquement démontré qu’il n’a ni commencement ni fin.

Cette résistance de Dingo, cette énergie à défendre sa personnalité, irritantes d’abord, firent bientôt que je mêlai, à mon admiration et à ma tendresse pour lui, du respect.

À vivre avec les animaux, à les observer journellement, à noter leur volonté, l’individualisme