Page:Octave Mirbeau - Dingo - Fasquelle 1913.djvu/64

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temps, sur cette laideur sacrée, qui la rejetait hors l’humanité, hors l’animalité… j’allais dire, ingrat, hors l’amour !

Pierrot, lui, se refusait à la voir. Énergiquement. Non, qu’il fût insensible ni méchant… Ah ! le pauvre Pierrot ! Mais il ne pouvait pas. Il avait lutté, il avait fait tout ce qu’il avait pu, pour être gentil avec elle, pour s’apitoyer sur une telle disgrâce. Réellement, c’était plus fort que lui, plus fort que sa délicatesse et que sa pitié. Non, non, il ne pouvait pas. Il lui manquait ces dons également divins : la miséricorde chrétienne ou le sadisme. Et puis, à sa première rencontre avec elle, il avait eu une crise épileptiforme et faillit devenir fou. Quand elle arrivait chez nous, qu’il apercevait de loin sa silhouette sur la plage, sur la dune ou dans le bois, il s’en allait en poussant des cris.

Notre habitation tournait, si j’ose dire, le dos à la mer. Nous n’avions devant nous jusqu’à la ligue d’horizon que des dunes plates, en sillons réguliers. Pour les rendre encore plus tristes, de loin en loin se promenaient, comme de grosses dames en deuil, des touffes noirâtres de chênes verts.

Un canal, dont on n’aperçoit pas les eaux encaissées, relie, à travers les dunes creusées par lui, le bourg de Noirmoutiers à lamer ; ce qui fait res-