Page:Octave Mirbeau - Dingo - Fasquelle 1913.djvu/73

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— Je me méfierais de ce chien-là…, avait déclaré l’épicière, Mme Amélie Tourteau, qui boitait de la jambe droite, louchait de l’œil gauche, n’entendait que d’une oreille, « la bonne, heureusement », expliquait-elle.

Et menaçant Dingo, d’un doigt que parfumait le hareng-saur, elle avait ajouté :

— Tu sais, toi !

Pour lui donner et se donner à elle-même, plus de prestige, Marie, imprudente et bavarde, avait raconté — Dieu sait avec quelle richesse de détails ! — que Dingo n’était pas un chien, mais une espèce de bête féroce des plus dangereuses… qu’il arrivait de loin… de très loin… de l’autre côté des océans… du bout du monde, quoi !… enfin d’un pays… où jamais personne n’avait osé s’aventurer… et qui était plein de lions, de tigres, de serpents, de piternes et de rhinocéros.

— Dans ce pays-là, avait-elle insisté, pour en faire mieux sentir toute l’horreur sauvage… il paraît qu’il y a autant de bêtes féroces qu’il y a de moineaux chez nous dans un cerisier… C’est comme ça, ma chère dame !

Sur quoi, l’épicière avait joint les mains, comme pour écarter d’elle des maléfices :

— Si c’est Dieu possible !… avait-elle gémi. Qu’est-ce que c’est donc que ce pays-là ?

Et Marie avait répondu :