Et M. de S… me conta ceci :
— Un matin, j’apprends par mon chef basse-courrier, que j’ai deux poules diphtériques… Comment avaient-elles pu attraper cette contagion, ici, où, chaque jour, les parquets, le sol, les mangeoires, l’eau, la nourriture même, tout enfin est désinfecté ?… Je me le demande encore… Mais il n’y avait pas à s’y tromper ; elles étaient diphtériques… Ah ! sacristi !… Immédiatement, j’ordonne de les isoler dans une de ces maisonnettes que vous voyez… Et on les soigne… Trois fois par jour, un employé venait avec un petit attirail d’infirmier… Il commençait par racler, avec un grattoir, le gosier des poules, enduisait, ensuite, à l’aide d’un pinceau, les plaies à vif, d’une bonne couche de pétrole, et comme il faut soutenir les malades, durant l’évolution de cette maladie, qui est très déprimante, il leur entonnait deux ou trois boulettes, d’une composition spéciale et tonique… Ce régime leur était extrêmement pénible et douloureux. Mais quoi ? Elles avaient beau protester, il fallait bien en passer par là… Or, voici ce qu’elles imaginèrent… C’est à ne pas croire ! Moi-même, j’eusse traité de blagueur celui qui m’eût rapporté la chose, si je n’en avais pas été, une dizaine de fois, le témoin stupéfait… Du plus loin qu’elles voyaient venir leur bourreau, avec sa trousse, elles essayaient aussitôt de se mettre sur leurs pattes, battaient de l’aile, affectaient la plus folle gaieté, puis, se précipitant aux mangeoires garnies d’un peu de millet, elles faisaient semblant de manger… Oui, mon cher monsieur, avec une ostentation comique, elles faisaient semblant de manger, goulûment. Et, regardant l’employé, en dessous, d’un air malin, elles semblaient lui dire : « Tu vois, nous avons grand appétit… nous sommes tout à fait guéries… Remporte donc ton grattoir, ton pinceau