Page:Octave Mirbeau - La 628-E8 - Fasquelle 1907.djvu/133

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mais qui ajoute encore à la cruauté de la blessure… Que faire ?… Lui répondre ?… se fâcher ?… Il se venge aussitôt sur les maris, car il dispose des places, des honneurs… Alors, on se tait, on sourit, on accepte toutes les humiliations… Il faut bien vivre… Tenez… voici un trait, tout récent, de son caractère, ce qu’on se plaît à appeler son esprit… Au dernier bal de la Cour, je me trouvais, dans un petit salon, avec une de mes amies, la comtesse de M… C’est une charmante femme, veuve depuis quatre ans… assez jolie… enfin pas très jolie… très bonne, par exemple, très entrain… et dont l’existence est un peu libre, je le reconnais… un peu libre… Mais quoi !… Elle fait ce qu’elle veut, et ce qu’elle fait ne regarde qu’elle, après tout. La veille, au bal du Cercle de la Noblesse, la comtesse avait beaucoup dansé avec M. de K… qui passe, à tort ou à raison, pour être son ami… Mais enfin, elle avait dansé décemment, et personne n’avait trouvé à y redire… Voyons, monsieur, je vous le demande… si M. de K… est son amant, rien de plus naturel qu’elle danse avec lui…

— Évidemment…

— Et s’il ne l’est pas ?…

— Rien de plus naturel encore, approuvai-je… pour qu’il le devienne…

— Évidemment…

Elle s’aperçut que cet adverbe, ainsi placé, était peut-être un peu vif… Aussi s’empressa-t-elle de reprendre son récit.

— Nous étions donc toutes les deux à nous morfondre dans ce petit salon, quand le Roi, après le défilé du corps diplomatique, y entra. Rien ne l’assomme, ne le dispose mal, comme cette cérémonie, qu’il déteste… Il vint vers nous… Je suis obligée d’avouer, qu’