Page:Octave Mirbeau - La 628-E8 - Fasquelle 1907.djvu/142

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embarras ! Si du sang nègre poisse à tous nos pneus, à tous nos câbles, la belle affaire ! Pouvons-nous mieux associer les races inférieures à notre civilisation, les mêler de plus près aux besoins de notre commerce et de notre vie ?… Et puis, les palais de Léopold, ses fantaisies, ses voyages, ses voluptés, sont coûteux. Ne faut-il pas aussi augmenter les dividendes des actionnaires, payer les journaux, pour qu’ils se taisent, intéresser le Parlement belge, pour qu’il vote, désintéresser les autres gouvernements, pour qu’ils ferment les yeux sur ces atrocités ?

C’est égal. Quand je rencontrerai encore le roi Léopold, traînant la jambe dans Monte-Carlo, dans Trouville, ou rue de la Paix, quand je verrai son œil briller, sous le verre, à contempler les écrins d’un bijoutier, à détailler le corsage ou les lèvres d’une femme qui passe, quand je reverrai la compagne trop mûre d’une demoiselle très jolie parler, à l’oreille du souverain, dans un restaurant des Champs-Élysées, je penserai à cette vitrine-ci, et je n’aurai plus envie de rire…

— Nous avons aussi du bien bel ivoire… me dit l’homme en redingote, en me reconduisant jusqu’à la porte.



Remords.


Je m’aperçois que moi, qui reproche si amèrement aux Français leur ironie agressive et leur injustice envers les autres peuples, je viens de me montrer bien français envers les Belges.

Parce qu’ils ont Bruxelles ?

N’avons-nous pas Toulouse ? N’avons-nous pas l’esprit