Page:Octave Mirbeau - La 628-E8 - Fasquelle 1907.djvu/158

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peu à peu, j’ai conscience que je suis moi-même un peu de cet espace, un peu de ce vertige… Orgueilleusement, joyeusement, je sens que je suis une parcelle animée de cette eau, de cet air, une particule de cette force motrice qui fait battre tous les organes, tendre et détendre tous les ressorts, tourner tous les rouages de cette inconcevable usine : l’univers… Oui, je sens que je suis, pour tout dire d’un mot formidable : un atome… un atome en travail de vie…



Il m’enchante que les formes de l’auto et de la barque s’apparentent ; que le vent coupe, en marche, les mots toujours si inutiles, comme la mer impose le silence ; que marin et chauffeur n’aient pas en commun que le goût de se taire, qu’il leur faille encore, à l’un, au volant de sa machine, comme à l’autre, à la barre de son navire, le même esprit de décision rapide devant l’obstacle soudain qui se dresse, la même froide tranquillité devant la mort. Et il me plaît que, dans leurs yeux, l’observation continue des espaces approfondisse la même qualité de couleur, aiguise la même sûreté de vision…

Et la sirène dans la campagne, la sirène dans la montagne, presque aussi émouvante que sur la mer et dans les ports, la sirène dont l’avertissement prolongé apprend aux bêtes peureuses, aux villages en émoi, aux voitures somnolentes, aux humanités hostiles, que les routes sont faites pour que tout y passe, même la tempête, même le progrès, qui est une tempête, puisqu’il est une révolution !