Page:Octave Mirbeau - La 628-E8 - Fasquelle 1907.djvu/160

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la Cité, ou, mieux, celle plus calme, plus pesante de Berlin, dans la Friedrichstrasse. Peu de caractère dans les types, au premier abord. En vain, je cherche, parmi les femmes, les beautés grasses, les beautés blondes, la luxuriance, l’épanouissement lyrique des chairs de Rubens… Mais cela ne se voit pas tout de suite, cela se voit surtout au village, à la campagne, au seuil des portes, et j’ai remarqué, à quelques exceptions près, que les villes, surtout les villes de travail et de richesses, qui, comme Anvers, sont des déversoirs de toutes les humanités, ont vite fait d’unifier, en un seul type, le caractère des visages… Il semble maintenant que, dans les grandes agglomérations, tous les riches se ressemblent, et aussi tous les pauvres.

Il ne faut pas grand’chose pour que la badauderie reprenne le dessus, en cette foule qui paraît si affairée. Il suffit d’une automobile, arrêtée devant un restaurant. Dois-je croire qu’il y ait ou qu’il passe, à Anvers, si peu d’automobiles, que la nôtre y soit un spectacle à ce point nouveau, ou si rare ? Ce serait surprenant. Elle fait sensation, il n’y a pas à dire ; elle fait même scandale. On la regarde, avec une sorte de curiosité troublée, comme une bête inconnue, dont on ne sait si elle est douce ou méchante, si elle mord ou se laisse caresser. Des gamins, d’abord, comme partout, puis des femmes, s’approchent, s’interrogent d’un regard à la fois inquiet et réjoui. Cela forme déjà un groupe nombreux qui se tient encore à distance de la machine, respectueusement… Chacun se dit :

— Si, tout d’un coup, elle allait rugir, partir, se ruer sur nous !…

Puis, au bout de quelques minutes, c’est une véritable foule qui, d’instant en instant, grossit, grossit. On s’enhardit jusqu’à la toucher, jusqu’à vouloir faire jouer la manette