jusque chez lui… Le pavé était couvert de culots de cartouches… Des ivrognes ronflaient au travers des cadavres… Des blessés se tordaient et gémissaient ; d’autres rampaient pour gagner un abri… Un jeune homme, à barbe rousse, le visage broyé, essayait de boire, comme un chien, la boue rouge du ruisseau… Mais il ne s’arrêtait pas, et courait, courait…
Enfin, il avait trouvé sa petite Sonia, endormie, et, penché sur son matelas, « sans faire du bruit », il avait pleuré, pleuré, jusqu’à ce qu’il fît grand jour.
— C’est la dernière fois qué j’ai pleuré dans ma vie, mossié !…
La fusillade reprit le lendemain… Le gouverneur avait défendu de tirer sur les pharmacies et l’hôpital, mais les chefs n’étaient plus maîtres de la troupe. Il y eut des scènes d’une horreur sauvage…
— On né peut pas croire, mossié !…
Vers midi, l’artillerie d’une ville voisine amena ses canons. Les notables juifs, mandés au château du gouverneur, entendirent que la ville serait rasée, s’ils refusaient de livrer les terroristes du Bound… Ils se lamentèrent, sans pouvoir rien faire…
— Quoi faire ?… Dites, mossié…
Deux notables furent gardés en otages et pendus, le soir même, dans la cour de la prison…
— Nous avions compté sur les « artilléristes », qui sont plus éclairés, moins méchants… Ach !… Bêtise…
Le canon gronda durant deux jours…
Le vieux s’était arrêté… Lui aussi semblait fatigué de raconter toutes ces horreurs… Il ne parlait plus que d’une voix molle, un peu basse, comme lointaine… Et il regardait le sol à ses pieds, ou plutôt, il ne regardait rien…
Je pris sa main… Il ne bougea pas… Je serrai sa main…