Page:Octave Mirbeau - La 628-E8 - Fasquelle 1907.djvu/192

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Il paraît que la municipalité en faisait les honneurs aux étrangers de distinction, comme nous faisons aux délégations anglaises, italiennes, norvégiennes, aux étudiants, aux blanchisseuses des pays amis, aux rois des pays alliés, les honneurs de notre Louvre, de notre Sorbonne, de notre Opéra, de nos Académies… Dès qu’un personnage célèbre, un prince plus ou moins couronné, débarquait à Anvers, vite au Rideck !… C’était le complément obligé des banquets et de toutes fêtes. Même le dimanche, après dîner, des familles entières, pères, mères, filles et garçons, nièces et cousins, et leurs camarades, et leurs bonnes, venaient s’y promener, sans gêne, en leurs plus riches atours… On disait aux enfants : « Si vous êtes bien sages toute la semaine, si vous travaillez avec assiduité, on vous mènera, dimanche, au Rideck ! » La messe, les vêpres, des gâteaux et le Rideck, voilà ce qu’on pouvait appeler un beau dimanche… Nul ne songeait à s’en offenser… Bien au contraire…

Le Rideck, c’était des petites boutiques, pittoresquement aménagées, où l’on vendait des produits exotiques, des petits cafés où l’on dansait des danses nègres, au son des banjos… et des petites cases où l’on vendait de la chair jaune, rouge, cuivrée, noire et même blanche. Et quels parfums !… Les jours de visites, on s’arrangeait pour que tout cela fût décent et ressemblât à quelque exposition coloniale.

— Colonisons… Il en restera toujours quelque chose…

Je n’ai pas vu ces spectacles familiaux. Je n’en parle que sur la foi des souvenirs évoqués par des notables d’Anvers… Mais j’ai vu – je m’en souviens avec une grande tristesse – j’ai vu, la nuit, dans les rues chaudes, la pantomime de la luxure internationale et son avidité effrénée