Page:Octave Mirbeau - La 628-E8 - Fasquelle 1907.djvu/203

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et se saoûlant, il attendait que le ministre des Digues voulût bien lui envoyer les autorisations nécessaires… Son mécanicien, un gai lascar de Paris, vint nous voir… Je l’exhortai à la patience…

— Oh ! fit-il, j’suis pas pressé… Le patelin n’est pas joli… joli… mais j’couche avec la femme du douanier… C’est bien son tour, dites ?…




Depuis que j’étais venu en Hollande, pour la première fois, il y avait tant d’années… tant d’années… que je n’osais plus les compter… Les années qu’on a vécues paraissent, à distance, de plus en plus belles, à mesure qu’en nous s’affaiblit avec l’expérience, et s’éteint avec l’illusion, la faculté d’espérer le bonheur. Du moins, à présent, saurai-je comment les pays vieillissent… Hélas !… ils vieillissent à mesure que nous vieillissons. Tous les êtres et toutes les choses n’ont pas d’autre vieillesse que la nôtre… Ils n’ont pas, non plus, d’autre mort que la nôtre, puisque, quand nous mourons, c’est toute l’humanité, et c’est tout l’univers qui disparaissent et meurent avec nous.

Si l’on n’avait pas appris l’art cruel de faire des miroirs, et que les femmes dussent passer leur vie au bord des rivières, chacun de nous ne verrait vieillir que les autres… Il se croirait toujours le jeune homme qui courait follement au bonheur, ou même l’enfant, le petit enfant qui ne pensait qu’à jouer, dont les larmes coulaient pour un rien, et pour un rien, aussi, étaient séchées. Chaque âge, n’étant plus que l’adolescence – sans amertume – d’un autre âge, nous resterions perpétuellement adolescents… Mais, pour n’être pas détrompés, il faudrait ne retourner jamais, à quinze ans