détacher une feuille de la pile… Il se précipita :
— Non… non… cria-t-il… je vous achète ça… je vous achète tout ça… tout ça…
L’épicier était brave homme. Il crut avoir à faire à un original… Et puis, ces papiers coloriés ne lui coûtaient rien : il les avait par-dessus le marché… Comme on donne à un enfant qui pleure, pour l’apaiser, une image, il donna la pile à Monet en riant, et se moquant un peu :
— Prenez… prenez… dit-il… Ah ! vous pouvez bien les prendre… Ça ne vaut rien… Ça n’est pas solide… J’aime mieux ce papier-là, moi…
Se tournant vers la cliente :
— Et vous ? Ça ne vous fait rien, non plus, hein ?
— Moi ?… Ah ! Dieu de Dieu !…
Il prit une feuille de papier jaune, avec quoi il enveloppa le morceau de fromage qu’avait acheté la vieille femme.
Rentré chez lui, fou de joie, Monet étala « ses images ». Parmi les plus belles, les plus rares épreuves, qu’il ne savait pas être d’Hokousaï, d’Outamaro, des femmes, à leur toilette, des femmes au bain, des mers, des oiseaux, des arbres fleuris, il en vit une qui représentait un troupeau de biches, et qui lui paraissait être une des plus étonnantes merveilles de cet art étonnant. Il sut, plus tard, qu’elle était de Korin…
Ce fut le commencement d’une collection célèbre, mais surtout d’une telle évolution de la peinture française, à la fin du XIXe siècle, que l’anecdote garde, en plus de sa saveur propre, une véritable valeur historique. Ceux qui voudront étudier sérieusement cet important mouvement de l’art, qu’on appela du nom d’impressionnisme, ne peuvent la négliger…
Aujourd’hui qu’on célèbre tant d’anniversaires, inutiles