Page:Octave Mirbeau - La 628-E8 - Fasquelle 1907.djvu/278

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Au bord des canaux d’Amsterdam, et sur leurs ponts, depuis que je m’attarde à imaginer le tain de vase profonde de ces miroirs qui meurent, je sens que monte jusqu’à moi une odeur qui devient, chaque année, plus forte et plus fétide. À mon dernier voyage, en plein été, c’était, le soir, une puanteur dont le souvenir me poursuit.

Je sais le pouvoir de l’imagination sur les sens, sur les nerfs. C’est à ce dernier voyage que j’ai appris cette chose effrayante : on n’avait pas curé les canaux d’Amsterdam, depuis trois cents ans. Et, rien que de l’avoir appris, il me sembla, tout à coup, qu’une épouvantable odeur me faisait tourner le cœur, et je grelottai la fièvre, durant huit jours, dans ma chambre d’hôtel d’où je voyais passer, sur le canal, les noirs chalands, flotter au-dessus des eaux, au ras des eaux du canal, de longues images grimaçantes, de longs spectres verts.

La dame de la mer trouve l’eau lourde dans les fjords… Si elle était venue à Amsterdam, qu’eût-elle dit de l’eau des canaux ? Elle est de plomb… Une sorte de graisse purulente, une sorte de mucus qu’elle a sécrété, mousse, tournoie, ondoie à sa surface.

L’eau encore, même l’eau boueuse, on peut l’agiter ; les coques des chalands la font sans cesse mouvoir, la décapent pour un instant ; les courants de mer qu’on arrive à y précipiter la renouvellent un peu, la rafraîchissent… Mais la vase ? Mais ces vases séculaires, ces lents et continuels déversements d’égouts, ces dépôts de tant de millions de vies humaines qui se stratifient au fond ?… Comment s’en débarrasser ? Déjà, les miasmes traversent les boues et l’eau, envoient crever à