Page:Octave Mirbeau - La 628-E8 - Fasquelle 1907.djvu/297

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Le paysan n’a pas encore compris, ne comprendra probablement jamais que les routes ont été construites pour qu’on y circule d’un point à un autre. Il s’imagine, de bonne foi, peut-être, qu’elles ne sont faites que pour lui, pour les différents besoins de son exploitation et les services de ses élevages. Les gendarmes, les gardes champêtres, les agents voyers, les maires, les préfets et les ministres se l’imaginent aussi. Il est donc bien entendu qu’on doit y rencontrer, comme dans l’arche de Noé, toutes les bêtes de la création, et leur fumier.

Excellent terrain d’observation pour un chauffeur qui a du loisir, et qui veut étudier ce que j’appellerai : la faune des routes…



Rien de plus divers que la façon des animaux de se comporter au passage des autos. Elle instruit sur leur caractère et le degré de leur intelligence. Or il s’en faut que le classement, qui en résulte, corresponde aux idées qui ont cours, encore moins aux vieux dictons et aux métaphores populaires.

Le cheval, à propos de qui il me faut bien répéter, pour la cent millionième fois, l’agaçante parole de Buffon, le cheval, « la plus noble conquête de l’homme », qui voit, sans s’émouvoir, son camarade d’attelage tomber, expirer à ses côtés, le cheval est stupide. Pourtant, s’il croise une charrette d’équarrisseur, où se dressent, en l’air, les quatre sabots d’un compagnon mort, aussitôt il se met à trembler, frissonne, s’emballe. Au dire des naturalistes les plus experts, on ne saurait voir dans ce trouble la manifestation d’une sensibilité altruiste, ni la peur égoïste de la mort, mais seulement une protestation olfactive, la révolte