Page:Octave Mirbeau - La 628-E8 - Fasquelle 1907.djvu/328

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que soit l’étiquette, même la plus rouge, sous laquelle ils arrivent au pouvoir, – les hommes de pouvoir, par seul amour du pouvoir, fassent de l’inégalité sociale, soigneusement cultivée, une méthode toujours pareille de gouvernement, et qu’ils maintiennent, avec âpreté, dans les conditions du plus dur, du plus injuste esclavage, un prolétariat douloureux qui travaille à la richesse d’un pays, sans qu’on l’admette jamais à y participer. Et puisque le riche – c’est-à-dire le gouvernant – est toujours aveuglément contre le pauvre, je suis, moi, aveuglément aussi, et toujours, avec le pauvre contre le riche, avec l’assommé contre l’assommeur, avec le malade contre la maladie, avec la vie contre la mort. Cela est peut-être un peu simpliste, d’un parti pris facile, contre quoi, il y a sans doute beaucoup à dire… Mais je n’entends rien aux subtilités de la politique. Et elles me blessent comme une injustice.

Eh bien, quand je suis en automobile, entraîné par la vitesse, gagné par le vertige, tous ces sentiments humanitaires s’oblitèrent. Peu à peu, je sens remuer en moi d’obscurs ferments de haine, je sens remuer, s’aigrir et monter en moi les lourds levains d’un stupide orgueil… C’est comme une détestable ivresse qui m’envahit… La chétive unité humaine que je suis disparaît pour faire place à une sorte d’être prodigieux, en qui s’incarnent – ah ! ne riez pas, je vous en supplie – la Splendeur et la Force de l’Élément. J’ai noté, plusieurs fois, au cours de ces pages, les manifestations de cette mégalomanie cosmogonique.

Alors, étant l’Élément, étant le Vent, la Tempête, étant la Foudre, vous devez concevoir avec quel mépris, du haut de mon automobile, je considère l’humanité… que dis-je ?… l’Univers soumis à ma Toute-Puissance ? Pauvre