Page:Octave Mirbeau - La 628-E8 - Fasquelle 1907.djvu/372

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séjour, il m’est arrivé d’interroger, un matin, une commère, qui tricotait sur le pas de sa porte : « Eh bien ? vous êtes contente ?… Votre Impératrice, vous l’avez vue ?… Elle vous a parlé ? » – « Eh ! oui. Oh ! oui ! » – « C’est une bonne impératrice, hé ? » La paysanne arrêta ses aiguilles et me considéra : « Quoi donc ? insistai-je… Ce n’est pas une bonne impératrice ? » – « Bonne ?… bonne ? Oh ! si… elle est très bonne… mais impératrice… » Elle se remit à tricoter : « Impératrice… répéta-t-elle en secouant la tête… elle ne peut pas !… »

Nous avions fini par rester presque seuls dans cette salle de restaurant où, sous la lumière des lampes voilées, les spires des lambris, les enroulements hélicoïdaux des plafonds prenaient des apparences de fantastiques reptiles. Le vieux général, dont le visage avait passé du rouge écarlate au violet d’apoplexie, et qui avait eu beaucoup de peine à reboucler son ceinturon, venait de quitter sa table. Au dehors, sur le boulevard, nous entendions les pas cadencés d’un régiment en marche. Von B…, qui, jusque-là, avait parlé bas, haussa le ton.

— Je ne vous dirai rien du goût artistique de Guillaume… vous le connaissez… Et, d’ailleurs, il a fait se tordre de rire toute l’Europe. Le bon Allemand, qui, pourtant, ne brille pas par le goût, n’en est pas encore revenu. Berlin est une ville sans tradition d’art. Du moins, elle avait ce mérite d’être quelconque, une bonne grosse ville de province, à peine enjolivée, çà et là, par un petit souvenir de votre merveilleux dix-huitième siècle. Frédéric le Grand avait fait venir de Paris quelques notables architectes qui construisirent deux ou trois palais élégants, et une équipe de ces jardiniers de génie qui surent embaucher les saisons, et assigner leur tâche, pour l’éternité,