Page:Octave Mirbeau - La 628-E8 - Fasquelle 1907.djvu/374

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les statues de Rodin, les chairs les plus glorieuses de Renoir… Il préférerait qu’on décorât nos pelouses et nos parcs de massifs de sabres, de corbeilles d’obus, de plates-bandes de baïonnettes et de canons… Je vais vous raconter une autre anecdote… Un monsieur très riche légua à la ville de Berlin cette fontaine monumentale qui est à Schlossplatz. Je lui trouve du style, une éloquence à la Puget ; la fonte en est fort belle. Évidemment, c’est ce que nous avons de mieux, dans le genre, à Berlin. Le maire, selon les formes cérémonielles prescrites, invita l’Empereur à l’inauguration. Celui-ci, qui avait soulevé les plus mauvaises chicanes, accumulé toutes les difficultés administratives et juridiques pour que le legs ne fût pas accepté, refusa brutalement, presque grossièrement, l’invitation. Il ne pouvait admettre qu’on osât édifier, dans Berlin, un monument dont il n’eût pas eu seul l’idée et, de ses mains, dressé le plan, modelé la maquette. Cela lui semblait une atteinte injurieuse à son autorité, presque un crime de lèse-majesté. Son irritation était extrême. Je le voyais beaucoup à cette époque. Plusieurs fois, il me parla de cette affaire qui avait le don de l’exaspérer et qui, durant huit jours, prima toutes les autres affaires de l’État. Un soir, il s’écria, en français, car, chaque fois qu’il prononce un gros mot, c’est toujours en français : « Cette fontaine… comprends bien… je m’en fous… je m’en fous… je m’en fous… Mais je te dis que c’est une conspiration des socialistes. » J’essayai de le calmer, de le raisonner… Il m’imposa silence : « Parbleu !… je sais… toi aussi, tu es socialiste… Tout le monde est socialiste, aujourd’hui !… Ah ! mais, qu’ils prennent garde ! » Il s’en fallut de peu qu’il ne me fît jeter à la porte… Le jour de l’inauguration, quel ne fut pas l’étonnement de la foule, quand,