Page:Octave Mirbeau - La 628-E8 - Fasquelle 1907.djvu/40

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spirituelle et farceuse, son visage n’offrirait aucun charme spécial à l’amour. Sa tenue lâchée, ses vêtements le plus souvent sales et fripés, sa casquette enfoncée, en arrière, sur la nuque, sa démarche lourde et raide d’ouvrier, n’excitent pas aux rêves de volupté et de gloire…

Eh bien ! il n’y en a que pour lui, à l’office.

La cuisinière l’adore, et la femme de chambre en est folle. On le soigne comme un pacha ; on le dorlote comme un enfant. L’une le gorge de petits plats amoureusement mijotés, et de friandises ; l’autre n’est occupée qu’à tenir sa garde-robe, son linge… Il est comblé de cadeaux de toute sorte, et mes boîtes de cigares y passent, l’une après l’autre. Lui, se laisse faire, gentiment, gaiement, sans trop d’empressement, en homme blasé de toutes ces faveurs. Ménager de ses forces et de sa moelle, Brossette n’a pas un tempérament d’amoureux. De l’amour, il aime surtout les blagues un peu grasses, qui n’engagent à rien, et les petits profits. Il se passe volontiers du reste.

Tout cela ne va pas, bien entendu, sans de terribles scènes de jalousie. Souvent les deux rivales se menacent, se prennent aux cheveux. Il y a de tels fracas dans la batterie de cuisine et dans la vaisselle, que, pour mettre d’accord ces enragées, souvent je suis obligé de les mettre à la porte… Et puis cela recommence avec les autres… J’ai cru qu’en éloignant Brossette de la maison, j’y ramènerais le calme… Je lui ai dit :

— Écoutez, Brossette… vous êtes assommant… Vous mettez tout sens dessus dessous, chez moi. Je n’ai plus de maison. Dorénavant, vous logerez et vous prendrez vos repas dehors.

Et lui, philosophe, m’a répondu :

— Monsieur a bien raison… Au moins, je pourrai lire