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LA 628-E8


Avec Balzac.


J’adore Balzac. Non seulement j’adore l’épique créateur de La Comédie humaine, mais j’adore l’homme extraordinaire qu’il fut, le prodige d’humanité qu’il a été.

Sa vie — du moins par ce que l’on en connaît — ressemble à son œuvre. On peut même dire qu’elle la dépasse. Elle est énorme, tumultueuse, bouillonnante. C’est un torrent qui a roulé de tout. Malheureusement, on la connaît peu… Bien des années de cette vie nous échappent, sûrement les plus intéressantes, puisque ce furent celles que Balzac se plut à dissimuler le mieux. Ainsi, nous lui connaissons quelques liaisons qui furent célèbres. Mais les autres ?… Mais toutes les autres ?… Car ce fut un grand conquérant d’âmes.

Il était courtaud, boulot, bedonnant, très laid : l’allure épaisse d’un chantre d’église. La première impression en était désagréable. Mme Hanska a dit que, lorsqu’elle le vit pour la première fois, elle eut honte de son enthousiasme et ne pensa qu’à fuir… Quoi ! C’était là cet homme sublime, ce héros ?

Comme tous ceux qui écrivent beaucoup, Balzac parlait peu… Mais, dès qu’il parlait, le charme opérait. Il y avait, dans sa parole, une telle autorité, une telle séduction, qu’on oubliait très vite ses disgrâces physiques. L’esprit rayonnait des yeux et donnait au visage de la beauté. Il avait conscience de sa force fascinatrice, comme il avait conscience de son génie. C’était, d’ailleurs, la même chose… Balzac créait