émouvant, le plus angoissant martyrologe qui se puisse imaginer d’une vie d’artiste, ces lettres contiennent des aveux, voilés, il est vrai, des histoires obscures, sans doute, mais reconnaissables pour qui connaît, un peu, l’existence secrète de Balzac. Il y est souvent question d’une « dette sacrée ». Ne serait-ce point une allusion au prêt de Mme D… ? Nous pouvons tout croire d’un homme dont la vie a été l’argent, l’argent partout, l’argent toujours : « L’argent, écrit Taine, fut le persécuteur et le tyran de sa vie ; il en fut la proie et l’esclave, par besoin, par honneur, par imagination, par espérance. Ce dominateur et ce bourreau le courba sur son travail, l’y enchaîna, l’y inspira, l’y poursuivit dans son loisir, dans ses réflexions, dans ses rêves, maîtrisa sa main, forgea sa poésie, anima ses caractères, et répandit sur toute son œuvre le ruissellement de ses splendeurs. » Le ruissellement de ses douleurs aussi et de ses hontes.
Qu’on se reporte un instant à ces lettres, où l’auteur de La Comédie humaine évoque un prodigieux enfer du travail et de l’argent ; qu’on se rappelle les nécessités terribles, les terribles échéances où chaque fin de mois l’accule ; l’huissier à ses trousses, sa mère qui le harcèle, l’avenir engagé, les déchirements de son foie et les étouffements de son cœur ; le roman qu’il doit livrer, pour le lendemain ; ses nuits, au sortir d’un dîner mondain ou d’un soir d’Opéra, passées à écrire, à écrire, à écrire ! À propos de Modeste Mignon, il annonce joyeusement à son amie : « Encore soixante-dix feuillets de mon écriture… Ce sera fini demain. » Dans ce labeur de forçat, dans ce qui eût été, pour tout autre, un délire épuisant, il ne perd pas pied une seule minute. Il conserve, intacte, la maîtrise de son cerveau. Il songe à tout, aux plus petites choses. Il crayonne de