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LA 628-E8

Puis il revint s’asseoir, brusquement, sur le fauteuil, en face de moi…

— Quant à Mme de Balzac…

Il appuya sur chaque mot, avec une ironie pesante, qui me choqua un peu…

— Quant à Mme de Balzac, répéta-t-il… le lendemain, elle s’était reprise… oh ! tout à fait… Elle fut très digne… très noble… très douloureuse… très littéraire… Épatante, mon cher… Andromaque elle-même, quand elle perdit Hector… Elle émerveilla et toucha tout le monde par la correction tragique, par la beauté de son attitude. Quelle ligne !… Ah ! quelle ligne pour un Prix de Rome !… On l’entoura, on la plaignit… vous pensez ?… Le plus comique, c’est, je crois bien, qu’elle fut sincère dans sa comédie… La considération, les respects, les hommages lui redonnaient de la douleur et de l’amour. Je n’en revenais pas, moi, pourtant revenu de tant de choses, déjà !… Ah ! ces obsèques !…

Il eut un sourire presque gai :

— Mon cher… figurez-vous… le ministre Baroche, qui représentait le gouvernement et cheminait, dans le convoi, près de Victor Hugo, lui dit : « Au fond, ce monsieur de Balzac était, n’est-ce pas ?… un homme assez distingué. » Hugo regarda ce ministre, – qui a une si belle presse dans Les Châtiments, – il le regarda, ahuri, scandalisé, et répondit : « C’était un génie, monsieur, le plus grand génie de ce temps. » Et il lui tourna le dos… Hugo a raconté cela quelque part… Rien n’est plus vrai… Je me trouvais à côté de lui, quand cette petite énorme scène se passa… Mais ce que Hugo ne sut peut-être jamais, c’est que le ministre Baroche, s’adressant à son autre voisin qui avait, je me rappelle, de très beaux favoris… lui dit, tout bas, à l’oreille : « Ce M. Hugo est encore plus fou qu’on ne pense… »