Page:Octave Mirbeau - La 628-E8 - Fasquelle 1907.djvu/508

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ça !… Ah ! ah !… Et tenez… je suppose… au Maroc… parfaitement… au Maroc, il y a aussi des Allemands… Les Allemands sont lourds, bêtes, ridicules… Ils boivent de la bière et mangent des saucisses fumées… Je sais… je sais bien… Mais ils sont gentils avec le Marocain… Ils respectent ses mœurs, ses coutumes, sa religion, son droit à rester un être humain… Ils l’aident, à l’occasion, et, au besoin, le défendent, sans l’exciter ostensiblement contre les autres… Ils lui donnent confiance… Et, comme il y a toujours quelque chose à faire, au Maroc, quelque chose à y vendre… hé, mon Dieu, c’est l’Allemand qui profite tout naturellement des bonnes dispositions de l’indigène, et de sa haine contre les Français… Voyez-vous… ça n’est pas plus compliqué que ça !… La diplomatie, monsieur… quelle sottise !… Moi, j’aurais été l’Empereur, je ne me serais mêlé de rien. J’aurais dit, en fumant tranquillement ma bonne pipe de porcelaine : « Laissons faire les Français… Ils travaillent pour nous… » Et, là-dessus, j’aurais pris un grand verre de cette bière excellente, qui nous rend stupides et si lourds…

Tout à coup, il embrouille encore plus sa barbe, dont les mèches dorées se projettent de tous les côtés.

— Tenez ! propose-t-il… Nous allons faire un pari… c’est cela… un petit pari… Nous allons parier mes très belles pierres puniques contre ce que vous voudrez… ce que vous voudrez, ah !… Nous allons parier que, si les Français quittaient le Maroc, et qu’il ne restât plus, au Maroc, avec les Marocains, que des Allemands… il n’y aurait plus d’embêtements… plus de grabuges, d’anarchie, de guerres, de massacres… plus rien… Le Maroc redeviendrait, subitement, une sorte de Paradis terrestre… Vous ne voulez pas ?… Non ? Vous avez raison…