Page:Octave Mirbeau - La 628-E8 - Fasquelle 1907.djvu/511

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que très peu d’Alsaciens, noyés sous un flot d’Allemands qui, après l’annexion, sont venus en Alsace, comme on va aux colonies, prospecter des affaires et chercher fortune. Ce n’est pas la crème de l’Allemagne. Nos fonctionnaires, tous allemands aussi, ne sont pas, non plus, la crème des fonctionnaires. Beaucoup avaient de vilaines histoires, là-bas… Au lieu de les mettre en prison, on les a mis en Alsace… Et ils espèrent se faire pardonner, en affichant un zèle exagéré… Ils sont rigoureux, formalistes, très durs, et nous tiennent sous une tutelle un peu humiliante… Par exemple, nous avons ce qu’il y a de mieux comme armée… Sous ce rapport, on n’a pas lésiné, pas marchandé… vingt mille hommes !… Les meilleurs, les plus solides régiments de tout l’Empire… Oh ! nous n’en sommes pas très fiers… Je dois dire pourtant que les militaires ont beaucoup perdu de leur arrogance, de leur morgue… Les officiers sont affables, se mêlent davantage à la vie générale, vivent en bonne harmonie avec l’élément civil… Beaucoup sont riches et font de la dépense… Et puis, les musiques, qui se prodiguent dans les squares et sur les places, sont excellentes…

Comme je lui parlais de l’énorme développement de la ville :

— Oui !… fit-il assez vaguement… C’est surtout un décor, derrière lequel il y a bien de la misère… pour ne rien exagérer, bien de la gêne. Quoique l’Alsace ait un sol fertile, et qu’elle soit, pour ainsi dire, la seule province agricole de tout l’Empire, nous n’en sommes pas plus riches pour cela. La crise économique, qui frappe les centres industriels de la métropole, nous atteint, nous aussi… Les impôts nous écrasent… La vie est horriblement chère, quarante-cinq pour cent de plus qu’autrefois… Matériellement, nous ne sommes