Page:Octave Mirbeau - La 628-E8 - Fasquelle 1907.djvu/55

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en France, — mais d’aussi mortes que Rocroy, il n’est pas possible qu’il y en ait, nulle part, dans le monde. Rocroy est plus qu’une ville morte, c’est un cimetière ; plus qu’un cimetière, c’est le cimetière d’un cimetière, si une telle chose peut se concevoir. L’administration des ponts et chaussées qui, par pudeur nationale, sans doute, a voulu épargner aux voyageurs étrangers l’affligeant spectacle de cette déchéance, a déclassé la route qui mène à Rocroy. Rien ne mène plus à Rocroy qu’un chemin ensablé, cahoteux, que personne ne prend, et où poussent librement des herbes grisâtres : l’ancienne route. La nouvelle le contourne à quelques kilomètres, et s’en va desservant des villages plus vivants et de moins mornes campagnes. Pourtant, Rocroy subsiste encore sur les cartes, par habitude, je pense, peut-être par charité, comme, dans les budgets de l’État, subsistent parfois des crédits alloués à des services supprimés, ou à des personnes disparues… Je ne puis me faire à l’idée que le gouvernement trouve des fonctionnaires assez dénués, pour les envoyer — sous-préfets, juges, percepteurs, etc. — dans cette nécropole. J’imagine qu’on les recrute — et avec peine encore — parmi les anciens concierges de châteaux historiques et les gardiens de cimetières désaffectés… Quant aux quelques figurants, chargés de représenter l’indigène, d’où viennent-ils ? De quels hôpitaux ? De quelles morgues ?… De quels musées de cire ?

Et remarquez que, par une audacieuse ironie, Rocroy tient, dans notre système de géographie départementale, l’emploi de chef-lieu d’arrondissement… C’est chef-lieu de rétrécissement qu’il faudrait dire…

Nous y arrivâmes par hasard, ou plutôt par erreur, car, malgré Brossette, que son instinct ne trompe jamais, je m’acharnai à croire que le dit chemin cahoteux