Page:Octave Mirbeau - La 628-E8 - Fasquelle 1907.djvu/95

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Vive l’armée belge !


Le plus comique — tout est toujours le plus comique en Belgique — c’est l’armée belge. L’armée belge est bien plus terrible à voir que l’armée allemande, non par le nombre de ses soldats, mais par la chamarrure de ses uniformes. Elle rappelle — en beaucoup plus hippodrome — les plus splendides moments de l’Épopée napoléonienne. Il ne lui manque que ses guerres et ses victoires, et Monsieur d’Esparbès, pour les chanter. Les Belges n’ont pas osé aller jusque là…

Sur la place de l’Hôtel-de-Ville, ce matin, six soldats, des cavaliers. Gros, gras, lourds, la moustache longue et épaisse, le torse bombé sous un dolman vert que passementent, sur la poitrine, sur les flancs et dans le dos, d’énormes brandebourgs orange, les manches tellement galonnées qu’on ne sait jamais si on a affaire à des caporaux ou à des généraux, le pantalon amarante, très collant aux cuisses, et tirebouchonné sur la botte, le bonnet de police avec des brandebourgs aussi, crânement posé sur l’oreille… Et tellement martiaux, tellement conquérants qu’on dirait qu’ils ont vaincu le monde !… J’ai cru voir des survivants de l’immortelle garde impériale… Ils étaient six.

La foule, heureuse, toute fière, entoure ces six cavaliers… D’après ce que j’entends autour de moi, il paraît que c’est la petite tenue… et presque la tenue de corvée… Un bourgeois dit à un ami étranger qu’il promène par la ville :

— Et si tu les voyais, en grande tenue, sais-tu ?…

Quelque temps après, le même bourgeois, tout rayonnant d’enthousiasme dit encore :

— Cent mille hommes comme ça… tu penses ?