Page:Octave Mirbeau Un gentilhomme 1920.djvu/131

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des ennemis déclarés de monsieur le marquis. Savez-vous que ça peut retourner bien des gens, ça ?… Oh ! mais oui !…

La flatterie était maladroite ; elle appuyait lourdement sur le caractère intéressé, politique de cet acte de charité. Le marquis, agacé, changea aussitôt le cours de la conversation.

Quelques personnes vinrent le saluer. Il avait une mémoire extraordinaire et un merveilleux à-propos. Sans se tromper jamais, il appelait chacun par son nom, lui adressait une parole amicale, opportune, toujours gaie… À un vieux paysan qui se plaignait, timidement, des dégâts causés par les cerfs, il répondit avec une bienveillance familière :

— Justement, nous parlions de ça avec le docteur et M. le curé… C’est entendu, père Jumeau… c’est entendu… Toujours d’aplomb, sacrédieu ?… Regarde-moi !… Frais comme une rose !… Et quel âge as-tu ?

— J’suis du siècle, monsieur le marquis…

— Sacré père Jumeau !… Il nous enterrera tous… Eh bien, nous célèbrerons ton centenaire à Sonneville, entends-tu bien ?… Il y aura les violons… Et nous en boirons des bouteilles… des bouteilles du siècle aussi !…

Le docteur partit, ayant une longue course à faire ; le curé nous accompagna jusqu’à la voiture…

— Je le déciderai… affirma-t-il… soyez sans