Page:Octave Mirbeau Un gentilhomme 1920.djvu/134

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gré son caractère sauvage, la partie que le marquis préférait, en ce qu’elle lui constituait une réserve inépuisable… Il n’y chassait jamais, d’ailleurs, et il entendait qu’elle fût sévèrement gardée…

Nous débouchâmes sur un rond-point où venaient aboutir, outre la grand’route qui le traversait, six allées herbues, fermées chacune par une barrière peinte en blanc… Nous prîmes la seule, ouverte aux voitures, au fond de laquelle, comme une sentinelle veillant sur la forêt, s’embusquait une petite maison de garde. De loin, toute basse, avec sa façade repliée et blême, ses fenêtres louches, elle avait une expression haineuse et méchante. On y sentait toujours des yeux à l’affût, des oreilles aux écoutes, la menace des armes chargées… Elle donnait de l’effroi, comme tout ce qu’on heurte d’humain et de vivant dans les solitudes et dans les silences… Il semble que, dans la forêt où tout est lutte invisible et meurtre étouffé, la moindre chose, le moindre bruit qui rappellent l’homme prennent aussitôt un caractère de mystère tragique et de crime… Une sorte de cour normande, un grand verger tapissé d’herbe rugueuse et planté d’arbres à fruits, entourait la maison, n’en effaçait pas l’impression sinistre. Autour du verger, des arbres, des arbres, sans une trouée, un cirque d’arbres dont les pointes mêlées rayaient le ciel, pareilles aux morsures d’une