Page:Octave Mirbeau Un gentilhomme 1920.djvu/171

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par ses racines… Est-ce drôle ?… J’aime ma terre, mes bois, mes chevaux, mes vaches, mon gibier… mes paysans, plus que tout… jusqu’à cette vieille canaille de Lerible dont je ne puis me passer… J’aime la nature nue… Et s’il n’y avait eu que moi, j’eusse gardé Sonneville, tel que je l’ai reçu de mon père… avec ses vieux murs tapissés de lierre et sa bonne figure ridée d’ancêtre… Ah ! ma foi, oui ! Au fond… je suis un paysan… et je ne suis que cela, on ne veut pas me croire… Rien pourtant n’est plus vrai !… À Paris, bêtement, je me suis créé des tas de besoins, des passions, des intérêts… des affaires… Je n’y ai plus aucun plaisir, et que le diable les emporte !… Il faut bien que je les surveille, que je les entretienne… que je leur donne à manger… sans quoi ils me dévoreraient comme un lapin… car ce sont des bêtes fauves… De tout cela, ce qui m’ennuie le plus… c’est que je n’en vois pas la fin…

Il marchait, marchait, allumait des cigares qu’il jetait aussitôt pour en allumer d’autres… Et il poursuivit avec un accent de plus âpre tristesse :

— Non… c’est vrai… je n’en vois pas la fin… Et j’ai tourné le dos au bonheur. Vous rendez-vous bien compte ?… Une affaire en amène une autre… une ambition en nécessite une autre… Et qu’est-ce que j’avais besoin de me mettre sur les bras cette sacrée députation ?… C’est idiot,