Page:Octave Mirbeau Un gentilhomme 1920.djvu/180

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du doigt levait la paupière paralysée jusqu’au sommet de l’arcade sourcilière, la retournait d’un geste brusque, découvrant ainsi l’œil, encadré d’une peau écorchée humide et sanguinolente.

Le gros voyageait pour les jouets d’enfants, le petit pour les gilets de flanelle.

Après avoir inutilement tenté de manger son poulet, après avoir juré, tempêté, appelé les bonnes, maudit l’établissement, le gros s’adressa au petit :

— Eh bien ! qu’est-ce que je t’avais dit, à Alençon, bougre de serin ? As-tu lu le journal ? L’as-tu lu ? C’est une infamie. Au Tonkin, c’est comme en 70, on nous fiche dedans, les généraux trahissent. Tu connais ce Négrier ? Ah ! c’est du propre ! Un tas de canailles ! Tiens ! ce Courbet, il paraît qu’il est mort à temps.

Le petit leva sa paupière, grimaça et, regardant son compagnon :

— T’es sûr de cela, que les généraux trahissent ? dit-il, t’es sûr ?

— Pardi ! si je suis sûr, bougre de saint Thomas ! Oh ! on ne me la fait pas à moi ! Faudrait être plus malin… Je connais ça… Je te dis que c’est comme à Metz. J’y étais, tu sais bien, à Metz, et partout… J’ai vu, — il n’y a pas à dire que je n’ai pas vu, — comment que ça se turbinait. Oh ! les canailles ! Mais,