Page:Octave Mirbeau Un gentilhomme 1920.djvu/186

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d’aliénés. Et cette chambre, cette religieuse, ces fioles, ces morceaux de glace !… Il n’y avait plus à douter… J’étais fou, fou !… Fou, moi un brave homme, moi un savant, membre de plusieurs académies !… Mais pourquoi ? mais comment ?

Je demandai :

— Depuis combien de temps suis-je ici ?

— Depuis un mois, mon bon monsieur Fearnell, depuis un mois… Voyons, ne vous découvrez pas, reposez-vous, là… comme ça… Et surtout ne parlez plus.

Et le docteur, ayant rebordé mon lit, se frotta les mains, et il sourit, le bourreau ! Sans doute il se réjouissait de mon malheur, sans doute j’étais plus fou qu’aucun des fous qu’il avait soignés jusqu’ici. Et c’est pour cela qu’il se frottait les mains.

Depuis un mois ! Était-ce possible ? Depuis un mois ! Que s’était-il donc passé ? En vain je cherchais à dissiper la nuit qui pesait sur mon cerveau. La nuit était épaisse, obstinée. Pas une lumière n’apparaissait, pas une aube ne se levait sur ces ténèbres… Pourquoi le docteur me défendait-il de parler ?… Pourquoi causait-il tout bas avec la religieuse ?… Peu à peu je sentis que je défaillais, que je m’endormais, et je vis, dans un paysage convulsé, une route couverte de sang et bordée de monstrueux microscopes en guise d’arbres, une route sur laquelle deux