Page:Octave Mirbeau Un gentilhomme 1920.djvu/205

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tirer d’affaire, et ramena cahin-caha, dans un tombereau, les deux cadavres à la maison.

— Malheureux Cléophas !… Qu’as-tu fait ?… cria ma mère, saisie d’horreur à la vue d’un tel gibier que, certes, elle n’attendait pas si copieux, comptant sur une simple gibelotte, selon la coutume.

Et moi, ne sachant pas, non, en vérité, ne sachant pas quelle attitude prendre, et si je devais tirer vanité de ce coup rare, ou bien pleurer, je balbutiai bêtement :

— J’ai fait… j’ai fait… coup double, donc !

Il faillit s’étrangler à force de rire, et c’est à peine si deux ou trois verres de cognac, avalés coup sur coup, purent le remettre en état de poursuivre son récit. La boisson le rendit familier et bredouillant :

— Eh bien, qu’est-ce que tu as ?… fit-il. Je vois que cette petite anecdote ne t’a pas déridé. Elle n’est pourtant pas banale, allons, avoue-le… Mais j’ai mieux à t’offrir, mon vieux copain… Et je pense que celle que je vais te conter maintenant dilatera ta rate morose et racornie… À ta santé, et vive la bonne humeur !

Après avoir choqué nos verres, voici comment ce diable d’homme parla d’une voix qui, de plus en plus, s’avinait.

— Je ne te dirai pas à la suite de quelles infortunes familiales je dus entrer, humble et